CONSEJO MEXICANO DE CIENCIAS SOCIALES

Les mouvements lesbiens, homosexuels et trans

CRAPUL­ IEPHI, Université de Lausanne CEG­ISS, Université de Lausanne FRAMESPA,Université Jean Jaurès, Toulouse
LES MOUVEMENTS LESBIENS, HOMOSEXUELS ET TRANS EN FRANCE
Années 70 et 80
Appel à communication
Université de Lausanne, Faculté des Sciences sociales et politiques
10­-12 octobre 2019

Les années 1968 semblent désormais entrées dans l’histoire, avec en 2018 – année de la commémoration du cinquantenaire de mai ­ une moisson inégalée de publications. La mouvance féministe, les partis gauchistes, la nébuleuse des chrétien.nes de gauche, les mouvements anti racistes et de défense des immigré.es, écologistes et anti nucléaires, sont de mieux en mieux connus. Il n’en va pas exactement de même des mouvements LGBTI qui restent encore à explorer plus systématiquement (Revenin 2007; Paternotte 2018; Idier 2018) alors même qu’ils contribuèrent, au même titre que le mouvement féministe, à transformer «en profondeur les codes et les normes de la sexualité, de la conjugalité et des structures familiales» (Zancarini­Fournel 2002, p.143).

C’est à approfondir notre connaissance de ces mouvements et de l’environnement dans lequel ils se sont développés que ce colloque est consacré. Son ambition est de dresser le bilan des acquis de la littérature, d’en combler quelques angles morts et d’instaurer un dialogue entre plusieurs générations de militant.es et de chercheur.es qui, depuis cinquante ans, ont produit et continuent de produire une sociologie historique des luttes homosexuelles, lesbiennes et trans dans l’hexagone. Le moment est particulièrement opportun, 2019 marquant une année de célébrations des mouvements lesbiens, homosexuels et trans : le soulèvement de Stonewall en 1969 auquel est consacré un colloque en juin prochain, ou encore les premières Université d’été homosexuelle en 1979.

Si ailleurs ces mouvements ont pu faire l’objet de recherches précoces (Dennis Altman en 1971 et 1982 pour les USA ; Jeffrey Weeks en 1977 pour le Royaume­Uni, Rob Tielman en 1982 pour les Pays Bas), il n’en va pas de même en France où les premières publications sont rares et se situent en dehors du monde académique (e.g. Girard 1981, Cavailhes, Dutey, Bach­Ignasse 1984). Bien que l’on recense un certain nombre de travaux à la toute fin du siècle dernier (e.g. Pollak 1982, 1988 ; Mendes­Leite, Pollak 1991 ; Duyvendak 1994 ; Roussel 1995 ; Calvez, Schiltz, Souteyrand 1996 ; Eribon 1998 ; Duyvendack, Fillieule 1999) c’est dans les années 2000, et bien souvent en articulation avec l’apparition du VIH et des mobilisations politiques qu’il suscite que la recherche prend son essor (e.g. Mendes­Leite, Proth, De Busscher 2001 ; Pinell et al. 2002 ; Chetcuti, Michard 2003 ; Le Bitoux, Chevaux, Proth 2003 ; Eribon 2003 ; Tin 2003 ; Buisson­Fenet 2004 ; Broqua 2006 ; Verdrager 2007 ; Archives recherches cultures lesbiennes 2009) avec dans la dernière décennie une accélération marquée par la publication de plusieurs monographies (e.g. Jackson 2009 ; Idier, 2012, 2013 ; Sibalis 2010, 2013 ; Verdrager 2013 ; Dupuy 2014 ; Quéré 2016, 2018, Fillieule et al., 2018) et de travaux embrassant l’ensemble des années 68 (Gunther 2009 ; Eloit 2013, 2018 ; Prearo 2014 ; Callwood 2018). La parution en 2013 d’un volume de la collection Repères à La Découverte et consacré à la Sociologie de l’homosexualité vient valider cet essor (Chauvin Lerch 2013).

Le premier objectif de ce colloque, au­delà de dresser le bilan de diverses mobilisations, vise aussi à pointer les zones encore trop peu éclairées de cette histoire multiforme et foisonnante (nous pensons en tout premier lieu aux mouvements lesbiens), à remettre sur le métier une série d’idées communément admises bien que fragiles (comme le lien entre mobilisations et changement législatif ou encore la continuité entre les luttes contemporaines et les mouvements des années 68). Le déplacement du regard se voudrait aussi géographique. En sortant du tropisme parisien, en portant attention aux luttes et organisations en régions, nous faisons le pari qu’apparaîtraient d’autres scansions temporelles, d’autres thématiques que celles retenues lorsque l’on reste fixé sur Paris.

Nous souhaitons également que ce colloque soit l’occasion de nourrir, par la rencontre et l’échange, des synergies entre générations de chercheur.ses, entre militant.es et chercheur.ses, et permette de poser la question – d’une brûlante actualité ­ du recensement, de la conservation et de l’accessibilité de la mémoire orale et écrite de ces luttes. C’est pourquoi les communications abordant la question de l’archivage, de la mémoire et de la patrimonialisation (Koskowitch 2003, thèse en cours de Renaud Chantraine) nous intéressent au premier chef.

Nous proposons une structuration des échanges autour de quatre axes non exclusifs les uns des autres.

Le premier axe propose l’exploration des groupements (politiques, associatifs et culturels), des plus informels aux plus formels, des plus centraux aux plus périphériques, mais aussi des relations entretenues par les groupes lesbiens, homosexuels et trans avec les formations politiques, syndicales et associatives instituées et reconnues. Moins étudiés, l’émergence et le développement des mouvements lesbiens (Gonnard 2003) nous intéresse ici tout particulièrement. De la présence discrète des femmes dans les premiers mouvements gais (300 femmes à Arcadie pour 10 000 hommes d’après le décompte de Flamant (2007, p. 154) à leur rôle central au début des années 1970 dans la création et la période flamboyante du FHAR (Sibalis 2010, 2013; Idier 2017), puis des Gouines rouges (Bonnet 1998), ou encore leur présence invisible mais cruciale au cœur du mouvement féministe et du MLF (Lesselier 1991, Eloit 2018). Comment passe t­on ensuite de «l’unanimisme fusionnel» des femmes contre l’oppression patriarcale (Bard 2004, p. 114) à la rupture de 1980 avec l’émergence de «l’épistémologie du point de vue lesbien» (Eloit 2014), en passant par les tentatives de collaboration avec les hommes homosexuels au sein du GLH­PQ et de certains GLH en région et le CUARH à partir de 1979 (Chauvin 2005 ; Gonnard, Rousseau 1989, Quéré   2017) ? Aussi bien, des contributions autour de la naissance du militantisme trans (Espineira 2008, 2015) à partir d’une «culture cabaret transgenre» (Foerster 2012), de sa progressive mise en visibilité dans l’espace LGBT via la subversion des gazolines du FHAR (Jonquet 2001) et la pratique du gender fucking, les revues (comme Tabou en 1973), mais aussi le Centre du Christ Libérateur du pasteur Jacques Doucé à partir de 1976 (Doucé 1986 ; d’Eaubonne, 1990), de la répression subie, enfin, tout du long des années 1980 sont particulièrement attendues.

La composition, les modes d’action et les discours des mouvements lesbiens, homosexuels et trans sont également redevables d’une interrogation en terme d’intersectionnalité. Parce qu’ils sont traversés par la question des alliances de classe avec le monde ouvrier, le lien avec le mouvement féministe ou encore le soutien aux et des personnes immigrées. Il faut aussi garder en mémoire les « garçons arabes » des pratiques et discours exotisants et racistes du FHAR s’inscrivant dans un cadrage « arabophile anti­colonial » (Shepard 2017). On soulignera enfin que l’importation du terme homophobie ne se fait en France qu’à la fin des années 1970 et que les militant.es parlent alors de « racisme anti­ homosexuel.le ». Le CUARH va par ailleurs faire campagne pour intégrer les discriminations contre les homosexuel.les dans une loi contre le racisme, alors qu’à partir de 1983, se développent les mouvements anti­racistes, avec lesquels il cherche à dialoguer.

Le second axe propose d’explorer la dimension culturelle des luttes lesbiennes. homosexuelles et trans. L’évolution des modes de vie, l’émergence d’une scène commerciale et de nouveaux réseaux sociabilitaires dans les années 68 ont pu être par le passé analysés comme des obstacles aux mobilisations politiques (Chasin 2000). Aujourd’hui, ces phénomènes sont de plus en plus pensés en articulation avec le développement des luttes politiques, sous l’effet notamment des recherches sur les mouvements féministes. Quatre dimensions sont ici envisagées. D’une part, les lieux de sociabilités et leurs modes de fonctionnement, qu’il s’agisse d’associations pérennes ou de rencontres récurrentes (comme les campements lesbiens, les UEH à Marseille), ou encore les lieux commerciaux: cabarets, bars, saunas, boîtes de nuit, cinémas, etc. (Foerster 2012, Sibalis 2004); d’autre part les entreprises culturelles, au premier rang desquelles les media politiques ou commerciaux lesbiens, homosexuels et trans (presse en premier lieu mais aussi radios – Eloit 2017 ; Pinhas, 2012, 2016), l’émergence d’entrepreneurs culturels gays faisant figure d’autorité ainsi que le développement de la pornographie homosexuelle avec l’apparition d’une multitude de revues et de films ; l’efflorescence de productions culturelles à visée non commerciale, via festivals de cinéma, créations théâtrales, œuvres littéraires et cinématographiques ; les manières enfin dont les media mainstream couvrirent la question de l’homosexualité tout au long de la période retenue et les relations entretenues par les groupes lesbiens, homosexuels et trans avec les entreprises de presse instituées et reconnues.

Le troisième axe renvoie aux modalités de l’encadrement étatique des mobilisations lesbiennes, homosexuelles et trans. A commencer par la question de la répression policière et judiciaire, telle qu’elle peut se lire dans les données administratives et, à un autre niveau, dans l’évolution du cadre législatif et réglementaire. L’on sera particulièrement attentif ici à explorer les voies par lesquelles la question homosexuelle se serait ‘inversée’ (Fassin 2005), entre abrogation des dispositions légales (Idier 2013) et extension de certaines protections  aux personnes concernées. Au delà des aspects les plus visibles de la répression, ce sont les formes quotidiennes de la gestion de la réalité homosexuelle, lesbienne et trans en milieu urbain qui nous intéressent, les conflits d’usage autour d’espaces publics comme parcs et pissotières, la répression à bas bruit, via extorsions et collusions forcées entre monde de la nuit, police des mœurs et groupes concernés (Blidon 2008, Kosofsky Sedgwick 2008, Idier 2012).

Le quatrième axe entend interroger les mouvements lesbiens, homosexuels et trans français à partir des circulations internationales (y compris post coloniales ­ Shepard 2017) de savoirs et de pratiques culturelles et militantes, d’une part (UEH, ILGA, ILIS), mais aussi de savoirs et de pratiques sur les communautés par les milieux médicaux, policiers et judiciaires, le tout contribuant à informer et donc à modeler les luttes hexagonales, mais aussi à favoriser la mondialisation croissante des mouvements lesbiens, homosexuels et trans (Altman 2002).

Le colloque sera aussi l’occasion de favoriser rencontres et débats entre chercheur.se.s et militant.e.s, avec l’organisation de séances dédiées aux militant.es de cette époque pour qu’ils et elles puissent raconter et se raconter, mettre en discussion les travaux universitaires et les confronter aux récits et à la mémoire de celles et ceux qui ont lutté. Nous prévoyons enfin la projection de documentaires, une exposition d’affiches et documents de la période et des moments de convivialité festive.

Modalités d’envoi des propositions de communication

Les propositions, d’une taille maximale de 5000 signes, pourront être rédigées en français ou en anglais et devront reposer sur des données empiriques. Elles incluront la présentation du terrain d’enquête et préciseront l’axe ou les axes dans lesquels elles s’inscrivent prioritairement. Elles devront être adressées à l’ adresse suivante: colloqueLGBT2019@gmail.com

Calendrier

  • Envoi des propositions de communication (5000 signes maximum) : au plus tard le 30 avril 2019.
  • Sélection des propositions et réponses aux auteur.es : 31 mai.
  • Envoi des textes de communication (30 000 à 60 000 signes y compris bibliographie) : 15 septembre 2019.
  • Colloque à Lausanne: 10­-12 octobre 2019.

Comité d’organisation et de sélection des proposition

  • Christine Bard (TEMOS, Université d’Angers)
  • Thomas Bouchet (IEPHI­CWP, Université de Lausanne)
  • Christophe Broqua (IMAF­CNRS, Paris)
  • Sylvie Chaperon (FRAMESPA, Université Toulouse Jean Jaurès)
  • Sébastien Chauvin (ISS­CEG, Université de Lausanne)
  • Ilana Eloit (London School of Economics and Political Science, Department of Gender Studies)
  • Karine Espineira (LIRCES, Université de Nice­Sophia Antipolis, membre de l’Université Côte d’Azur)
  • Olivier Fillieule (IEPHI­CRAPUL, Université de Lausanne)
  • Mathias Quéré (FRAMESPA, Université Toulouse Jean Jaurès)
  • Marta Rocca y Escoda (ISS­CEG, Université de Lausanne)

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